Communication au 7e symposium "Conservation of monuments ..",

L'eau et le patrimoine culturel, des 6 / 9 juin 2007

 

Problématique de la conservation d’un patrimoine fluvial

archéologique, ethnologique, architectural, dans son contexte naturel,

en Basse Loire angevine et armoricaine

 

Un patrimoine fluvial sociétal longtemps "caché", à conserver

 

La connaissance du patrimoine fluvial ligérien a fait ces trente dernières années un progrès considérable. D'une perception initiale folkloriste, les recherches entreprises, souvent dans le cadre de démarches patrimoniales, ont abouti à une connaissance archéologique, ethnologique, technique du sujet, en relation avec ses contextes historiques, spatiaux et environnementaux. La démarche scientifique est devenue géo anthropologique. Elle repose sur une approche globale du patrimoine fluvial et riverain en son milieu, comprenant repérage in situ à la faveur de et collecte de certains de ses éléments en vue de leur étude.

Depuis la mi XXe siècle, un patrimoine fluvial "caché", tant d'épaves que de structures construites, a été révélé par l'érosion anthropique du lit sableux. Extraction sablière et aménagement du chenal fluvial et maritime ont ouvert une "fenêtre archéologique" dans le lit de la Loire, praticable lors des étiages. Ce patrimoine archéologique est encore en place (ouvrages construits fixes, épaves), ou en partie prélevé : outils lithiques de la préhistoire, foyer néolithique, mégalithes de l’âge du bronze ; cortège multi millénaire de céramiques ; fragments de pirogues et de bateaux assemblés archaïques ; ouvrages fixes (épis, duits) médiévaux du lit mineur, où s'intercalent et se superposent les épaves (XVIe à XIXe siècle) de chalands de Loire .. jusqu'aux vestiges contemporains des tabliers de ponts abattus pendant la guerre. S'ajoutent les levées (XIIe - XIXe siècles), à la structure et au fondement archéologique mal connus.

 

Le bateau de Loire a vu ainsi sa connaissance et typologie développée et renouvelée par l’archéologie fluviale, avec les découvertes et collections réunies principalement par l' Ecomusée de Montjean Loire Angevine et étudiées par François Beaudouin, ancien conservateur du Musée de la Batelerie de Conflans Sainte Honorine. Ainsi surgissent les pirogues du paysan pêcheur gallo-romain ou du Moyen-Âge, de types diversifiés dans leurs formes et fonctions, les scutes médiévaux (bateaux lourds de travail fluvial ou plus légers de transport).

 

La révélation ou mutation patrimoniale a pu procéder d'un autre regard, interprétatif, porté sur des objets relevant de l'horizon familier des riverains de la Loire. Les bateaux de travail du XXe siècle récemment désarmés, sont entrés dans le champ du patrimoine fluvial à flot. Les ports, cales et quais du XIXe siècle, équipements longtemps perçus comme anodins, ont été promus en quelques années au rang de monuments historiques de l'ancienne marine, lieux de mémoire et de théâtre de la nouvelle utilisation du fleuve, culturelle et ludique. Ajoutons dans la logique de la systémique fluviale et marinière, des patrimoines ruraux et industriels riverains, ainsi des campagnes chanvrières, carrières de tuffeau, ardoisières, charbonnages et fours à chaux en Basse Loire.

Le patrimoine sociétal a rejoint celui des châteaux et Monuments Historiques consacrés, dans le paysage culturel du Val de Loire inscrit par l'Unesco au patrimoine mondial de l'humanité.

 

La démarche patrimoniale, conserver l'héritage culturel, passe par la sauvegarde sur site. Pour les collections, elle devient muséographique, avec des objectifs de conservation raisonnée. La chaîne patrimoniale, au fil d'un réseau de sites, aboutit à la médiation culturelle et touristique et donc au développement local et régional.

C'est à l'échelle du fleuve, celle de sa fonctionnalité systémique ancienne, qu'il faut en interpréter le patrimoine culturel, celui des héritages d'activités liées entre elles autrefois, ainsi de la pirogue du paysan pêcheur et de la pêcherie construite dont il reste les vestiges archéologiques, ou de l'épave du chaland à voile à corréler à l'architecture portuaire encore en place. Le fleuve, réceptacle du gisement archéologique, est lui-même acteur patrimonial, hydrosystème inter réagissant avec son humanisation / anthropisation, jusqu'au déséquilibre des prélèvements et de l'aménagement contemporain.

Grâce à la palynologie, les contextes paléo environnementaux, bioclimatiques, hydro géomorphologiques, agricoles, éclairent les données archéologiques.

 

La problématique de la conservation ne se limite donc pas à celle des éléments, bois d'épave gorgés d'eau, cales portuaires effondrées. Elle ne prend tout son sens qu'à l'échelle de l'ensemble, tant du territoire patrimonial jadis fonctionnel que de la chaîne de la valorisation patrimoniale. Il faut restaurer l'épave de pirogue exceptionnelle, mais aussi consolider la pêcherie théâtre de son utilisation, ainsi que dans son équilibre, l'environnement fluvial dégradé.

Les conditions sont : la connaissance approfondie du patrimoine culturel fluvial largement défini ; une structuration institutionnelle de la démarche patrimoniale initiée pour l'essentiel, par des associations et chercheurs ; la création d'un outil, site atelier et de médiation muséographique, tête de réseau dans le bassin de la Loire ; un partenariat régions, .. Conservatoires, Parcs régionaux et moyens du Plan Loire.

La Mission Val de Loire patrimoine mondial Unesco comme catalyseur, l’Institut International Fleuves et Patrimoine avec son comité scientifique, sont les supports possibles de cette conservation – valorisation du patrimoine culturel fluvial ligérien.

 

Parmi les problèmes de conservation du patrimoine culturel fluvial ligérien

 

- Découverte, conservation, restauration de l'épave du bateau de Loire

 

. problème de l'abondance d'épaves restées in situ, vulnérables à l'érosion et au démantèlement des crues et des nombreux fragments récupérés et temporairement sauvegardés, pièces de bois plus ou moins gorgées d'eau

 

. stockage des bois d'épaves pratiqué dans des bacs d'accueil, dès 1995 par l'ancien Ecomusée de Montjean Loire Angevine, avec l'aide SRA (Service Régional d'Archéologie) - DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) de Nantes, pour une quinzaine de pièces.

. l'immersion d'épaves, en caissons, dans une carrière de sable à Sainte-Luce en amont de Nantes, réalisée par les soins du SRA, suite aux prélèvements de sauvegarde et de stockage en bacs faits par l'ARRA.

. démontage d'une épave importante réalisé par l'Ecomusée de Montjean Loire Angevine.

. prélèvement de petites épaves monoxyles ou de pièces éparses provenant d'un bateau assemblé, statistiquement le cas le plus fréquent.

 

. traitement des bois gorgés d'eau, pour des pièces isolées de petite à moyenne dimension (4 m) : par imprégnation de polyéthylène glycol, résine remplaçant l'eau par sa densité et polymérisant dans le bois. Le Musée du Château des ducs de Bretagne à Nantes a montré la voie pour un élément (bord et fond) de barque monoxyle du XIIIe siècle.

. consolidation des bois en état de dessiccation superficielle : le procédé d'imprégnation de colle et d'argile stabilisant l'horizon des cernes de bois en cours d'éclatement, a été testé à l'Ecomusée de Montjean avec succès, consolidant la pièce de bois.

 

Pour tous ces cas, des études et expérimentations sont à entreprendre, avec le concours de laboratoires, dont "Arc'Antique" à Nantes.

 

- Conservation du "bateau sous les toits"

 

le "bateau sous les toits" : réemploi de bois de bateaux démontés dans les charpentes des maisons riveraines, souvent de mariniers. Le problème de conservation est celui du bâti architectural d'utilisation (évolution, chantier de démolition et démontage).

 

- Découverte et conservation des anciens ouvrages construits du lit de la Loire, en relation à la restauration du fleuve

 

. des aménagements fluviaux, anciens épis de pêcheries, duits de moulins et plus rarement de péages - utilisés par des bateaux spécialisés parfois retrouvés sur place ou à proximité ; présents à raison d'un ouvrage tous les 1200 m en moyenne, ils jouent un rôle structurant dans la masse alluviale.

. question de la conservation de ces structures, aujourd'hui en partie démantelées, déchaussés par l'exploitation sablière et plus ou moins couchés par le courant.

. solution de la recharge de sable apporté par les crues, avec reconstitution progressive des seuils concourant au relèvement de la ligne d'eau, en cours avec l'arrêt des prélèvements sabliers dans le lit mineur du fleuve (interdiction totale en 1994) ; réfection architecturale.

. ces observations "géo archéologiques" montrent la voie technique d'un aménagement "léger" de seuils en Loire.

 

- Question de la restauration, réhabilitation, réemploi des bateaux à flot, témoins des dernières marines de Loire

 

- Chalands construits en fer depuis la fin du XIXe siècle, automoteurs de l'entre deux guerres, chalands spécialisés, pétroliers et sabliers de l'après guerre, aujourd'hui en partie ferraillés.

 

- Deux bateaux d'époque restaurés :

 

"Condorcet", chaland nantais de 1902, inscrit M.H., restauré sur initiative du Musée de la Batellerie bretonne de Redon par les chantiers de réinsertion sociale ATAO de Nantes.

 

"Cap-Vert", de 1928, chaland automoteur de Loire et Mayenne de 32 m, sauvegardé et classé MH par l'Ecomusée de Montjean Loire Angevine, restauré par les Chantiers de l'Esclain à Nantes sur initiative de la commune de Montjean.

 

Moins que la restauration technique, qui fait l'économie du rivetage au profit du soudage pour un remplacement de tôles du bordé et du fond, la limite rencontrée est celle du réemploi de bateaux à vocation patrimoniale quant à leur utilisation sur l'eau. La difficulté est réglementaire, celle des normes de sécurité et conditions du réemploi, en relation à la pertinence de l'expertise (cas du "Cap-Vert").

 

. Cas de "Auguste-Paul" (1910) devenu "Saint-Maurille" : un chaland nantais en fer emblématique de la marine chaufournière montjeannaise, à conserver.

 

Réhabilitation / restauration des ports de Loire, monuments de la marine

 

. de multiples ports et fronts de Loire urbains et villageois, interface jadis entre le fleuve marinier et ses pays riverains

. modules portuaires de cales et quais, construits en majorité entre 1840 et 1880, aux pavements à pentes faibles posés sur une forme d'alluvions sableuses ; en cours de ruinification, l'érosion fluvial déchaussant les perrés des quais, défonçant les pavements des cales, soutirant la forme meuble, faisant s'effondrer la structure portuaire.

. restauration régionale (Pays de la Loire, puis région Centre, avec subventions), une cinquantaine d'opérations achevées ou en cours (rôle du Conservatoire régional des rives de la Loire et de ses affluents).

 

Question de la restauration des levées

 

. palplanchage longitudinal en acier au cœur de la levée et enrochement de son pied côté Loire, travaux encore en cours

. on ne peut que déplorer que ces travaux ne soient pas accompagnés d'une démarche archéologique d'étude de la structure de la levée et de fouilles préventives de son pied avant fossilisation par l'enrochement (étude des générations de pieux de construction, épaves variées, dépotoirs, habitats..).

 

 

Philippe CAYLA 11 Quai des Mariniers ; 49570 MONTJEAN sur Loire  Tel. 02 41 39 06 31 philippe.cayla.88.49@wanadoo.fr ; Agrégé de Géographie, enseignant chercheur honoraire Université d'Angers, Président de l'Association patrimoine culturel Loire.

 

 

Eléments de bibliographie

 

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